Cela faisait deux ans que nous attendions une étape marquante dans le dossier du statut unique ouvrier et employé et ce, depuis le fameux arrêt de la Cour Constitutionnelle du 7 juillet 2011.
Une première étape est enfin franchie avec un compromis que la Ministre de l’Emploi, Madame De Coninck, a formulé dans un texte suite aux discussions menées avec le Groupe des 10 depuis plusieurs semaines. Ce compromis a été approuvé par le Conseil des Ministres restreint.
Il ne s’agit cependant que d’un projet qui doit encore être soumis par les instances syndicales et patronales à leur base. Or ce compromis comporte des modifications importantes pour les employés dont les préavis seraient revus à la baisse. Il est donc fort probable qu’il y ait des réactions de part et d’autre.
Le feuilleton n’est donc pas encore terminé. Cependant, si le compromis devait ne pas être accepté par les bases respectives, on peut s’attendre à ce que le législateur confirme les principes repris dans ce compromis sous forme de texte légal.
Vous trouverez ci-après les grandes lignes de ce compromis.
Les grandes lignes du compromis vers le statut unique
1. Nouveaux délais de préavis harmonisés à partir du 1er janvier 2014
De nouveaux délais de préavis harmonisés entreraient en vigueur dès le 1er janvier 2014 :
- Pour les 5 premières années d’ancienneté, un régime progressif est prévu
- A partir de la cinquième année d’ancienneté, le délai de préavis augmenterait de 3 semaines par année civile entamée jusqu’à un maximum de 62 semaines
- Après 20 ans d’ancienneté, le délai de préavis augmenterait seulement d’une semaine par année civile entamée
Les nouveaux délais se présenteraient donc de la manière suivante :
Ancienneté | Délai de préavis |
Dans le courant du premier trimestre | 2 semaines |
Du deuxième trimestre | 4 semaines |
Du troisième trimestre | 6 semaines |
Du quatrième trimestre | 7 semaines |
Du cinquième trimestre | 8 semaines |
Du sixième trimestre | 9 semaines |
Du septième trimestre | 10 semaines |
Du huitième trimestre | 11 semaines |
A partir de 2 ans | 12 semaines |
De 3 ans | 13 semaines |
De 4 ans | 15 semaines |
De 5 ans | 18 semaines |
De 6 ans | 21 semaines |
De 7 ans | 24 semaines |
De 8 ans | 27 semaines |
De 9 ans | 30 semaines |
De 10 ans | 33 semaines |
De 11 ans | 36 semaines |
De 12 ans | 39 semaines |
De 13 ans | 42 semaines |
De 14 ans | 45 semaines |
De 15 ans | 48 semaines |
De 16 ans | 51 semaines |
De 17 ans | 54 semaines |
De 18 ans | 57 semaines |
De 19 ans | 60 semaines |
De 20 ans | 62 semaines |
De 21 ans | 63 semaines |
De 22 ans | 64 semaines |
… (+ 1) | … (+ 1 semaine) |
2. Un régime dérogatoire pour certaines activités
Des exceptions aux nouveaux délais de préavis resteraient encore possibles. Ainsi, les partenaires sociaux pourraient fixer des critères spécifiques pour exclure certaines activités qui ne relèveraient pas du nouveau régime des préavis mais des délais de préavis de la CCT n° 75. Les activités sur les chantiers de construction devraient être concernées par ce régime dérogatoire.
Les délais de préavis concernés par ce régime dérogatoire sont les suivants :
Ancienneté | Délai de préavis |
De 6 mois à moins de 5 ans | 35 jours (5 semaines) |
De 5 ans à moins de 10 ans | 42 jours (6 semaines) |
De 10 ans à moins de 15 ans | 56 jours (8 semaines) |
De 15 ans à moins de 20 ans | 84 jours (12 semaines) |
20 ans et plus | 112 jours (16 semaines) |
3. Qu’en serait-il des droits acquis ?
Les nouvelles dispositions s’appliqueraient tant aux nouveaux contrats qu’aux anciens contrats. Les droits acquis chez l’employeur jusqu’au 31 décembre 2013 seraient toutefois fixés selon les anciennes règles . Pour tous les travailleurs déjà en service avant le 1er janvier 2014, les employeurs devraient donc faire un double calcul.
Exemple : un travailleur entré en service le 1er janvier 2010 est licencié le 15 juillet 2014. Pour la période comprise jusqu’au 31 décembre 2013, l’employeur devrait calculer le délai de préavis sur base de l’ancienne réglementation, auquel il devrait ajouter 6 semaines pour l’occupation comprise entre le 1er janvier 2014 et le 15 juillet 2014.
Le compromis ne traite pas de la question du sort des contrats d’employé dont l’exécution a débuté avant le 1er janvier 2012 pour lesquels les préavis restent aujourd’hui à convenir entre l’employeur et l’employé lorsque la rémunération annuelle brute dépasse un certain plafond (32.254 € bruts, montant 2013) et pour lesquels il est encore fait référence à la grille Claeys. Ceci devrait à notre sens faire l’objet de précisions complémentaires avant de pouvoir déduire du maintien ou de la suppression de ce système. Il nous semblerait justifié s’il devait être maintenu que la rémunération prise en considération soit alors celle arrêtée au 31 décembre 2013.
Les ouvriers devraient acquérir, selon le calendrier ci-dessous, un droit à une protection contre le licenciement équivalente à celle d’un travailleur qui s’est constitué des droits dans le nouveau système, avec une ancienneté identique, pour toute son occupation chez le même employeur.
Cette protection serait offerte par un système de compensation financé par des moyens libérés grâce à une modification de l’exonération fiscale qui s’applique actuellement à une partie (1.200 euros) des indemnités de préavis.
Le calendrier suivant serait d’application pour l’entrée en vigueur du système de compensation :
- Date de publication au Moniteur belge des nouvelles règles en matière de délai de préavis : travailleurs qui ont au moins 30 ans d’ancienneté à ce moment;
- 01/01/2014: travailleurs qui ont au moins 20 ans d’ancienneté à ce moment;
- 01/01/2015: travailleurs qui ont au moins 15 ans d’ancienneté à ce moment;
- 01/01/2016: travailleurs qui ont au moins 10 ans d’ancienneté à ce moment;
- 01/01/2017: travailleurs qui entrent en considération et qui n’ont pas encore acquis les droits sur la base du calendrier ci-dessus.
4. Outplacement
Le droit à l’outplacement serait généralisé pour tous les travailleurs licenciés après l’entame de leur 7ème année d’ancienneté. L’offre d’outplacement, dont la valeur correspond à 4 semaines de salaire, serait déduite de l’indemnité compensatoire de préavis à condition que celle-ci couvre une période supérieure à 6 mois.
Ainsi, par exemple, une indemnité compensatoire de préavis de 7 mois de salaire se composerait de 6 mois d’indemnité de rupture et de 4 semaines d’outplacement.
Si un délai de préavis de 7 mois est presté, l’outplacement devrait être exercé par le travailleur pendant ses congés légaux pour rechercher un nouvel emploi.
5. Efforts de reclassement complémentaires
Les secteurs disposeraient d’un délai de 5 ans pour décider de mesures complémentaires visant à augmenter les chances de réinsertion des travailleurs licenciés comme l’outplacement ou la formation. Ces différentes mesures pourraient être financées par 1/3 maximum du délai de préavis ou de l’indemnité de préavis auquel le travailleur licencié pourrait prétendre (2/3 de ce délai devrait être presté ou payé et cette fraction de 2/3 devrait correspondre au minimum à un délai de préavis ou une indemnité de rupture de 6 mois).
Une mesure parafiscale serait prise l’année prochaine afin d’inciter les employeurs et les travailleurs à prendre diverses mesures visant à favoriser l’employabilité des travailleurs. La réglementation et les efforts sectoriels seraient évalués après 5 ans.
6. Compensations
Afin d’adoucir les coûts liés à l’harmonisation des délais de préavis, les mesures suivantes seraient prises :
- les compléments sectoriels qui s’ajoutent aux allocations de chômage ou les compléments similaires qui ont pour objectif de garantir la sécurité d’existence du travailleur après son licenciement seraient répercutés sur le délai ou l’indemnité de préavis et le budget des allocations de licenciement actuelles à charge de l’Onem continuerait à être affecté à une compensation;
- une compensation serait prévue par le biais d’une modulation des cotisations des employeurs aux services médicaux inter-entreprises;
-
une compensation serait prévue par le biais d’une cotisation au Fonds de fermeture. Cette cotisation s’élèverait à:
- 1% du montant du licenciement à charge de l’employeur pour les travailleurs dont le salaire annuel est supérieur à 44.508 euros;
- 2% du montant du licenciement à charge de l’employeur pour les travailleurs dont le salaire annuel est supérieur à 54.508 euros ;
- 3% du montant du licenciement à charge de l’employeur pour les travailleurs dont le salaire annuel est supérieur à 64.508 euros.
- Les moyens ainsi dégagés seraient utilisés afin de réduire les cotisations dues par les entreprises qui occupent moins de 20 travailleurs au Fonds de fermeture des entreprises pour les tâches classiques.
- la Ministre de l’Emploi demandera en outre au gouvernement d’examiner si des mesures de soutien relatives au passif social peuvent être élaborées pour les entreprises.
8. Motivation des licenciements
Cette question devrait être réglée via une convention collective de travail conclue au sein du Conseil National du Travail entrant en vigueur le 1er janvier 2014. Le régime du licenciement abusif des ouvriers prévu à l’article 63 de la loi sur les contrats de travail cesserait de produire ses effets concomitamment à l’entrée en vigueur de la CCT susvisée.
9. Jour de carence
Le jour de carence applicable aux ouvriers serait supprimé. Les partenaires sociaux travaillent à l’élaboration d’une réglementation sur ce point. Nous ne manquerons pas de mettre à jour le présent article dès réception d’éléments nouveaux à ce sujet.
Quelques questions qui restent ouvertes
Quid de la situation jusqu’au 31 décembre 2013 ?
Le compromis fait état d’un nouveau régime applicable à partir du 1er janvier 2014 seulement. Or la Cour Constitutionnelle avait donné comme date butoir le 8 juillet 2013. Au-delà de cette date, une discrimination entre ouvrier et employé en matière de préavis et de jour de carence ne pouvait en principe plus avoir lieu. On ne peut donc exclure que devant le juge qui serait saisi en cas de litige un ouvrier fasse valoir l’arrêt de la Cour pour demander qu’il ne soit plus dès aujourd’hui discriminé par rapport aux employés. Il est donc à espérer pour la sécurité juridique que la Cour ait l’occasion dans le cadre d’une nouvelle question préjudicielle de confirmer qu’elle se satisfait de ces nouvelles règles à venir et de cette date butoir plus éloignée.
Quid des négociations possibles au niveau sectoriel et au niveau des entreprises ?
Selon le texte du compromis, les nouveaux délais de préavis qu’il comporte constitueraient un maximum au niveau interprofessionnel. Nous pouvons donc nous attendre à ce que les organisations syndicales y voient la possibilité de négocier au sein des secteurs ou au sein des entreprises une meilleure protection.
Une telle formulation risque donc de mettre une pression importante sur le banc patronal au niveau des secteurs et des entreprises. Si la législation devait donc être adaptée comme formulé dans le compromis, la question des préavis deviendrait un enjeu de négociation dans les secteurs et dans les entreprises et risquerait d’hypothéquer la paix sociale.
Quid de la période d’essai ?
Le compromis n’évoque pas la question de la période d’essai. Faudrait-il en conclure sa suppression pure et simple à partir du 1er janvier 2014 ? Si tel devrait être le cas, les employeurs n’auraient qu’un trimestre pour tester les nouveaux engagés et mettre éventuellement fin à la collaboration moyennant un préavis de 2 semaines. Au-delà du premier trimestre, le préavis passerait en effet à 4 semaines.
Nous vous tiendrons bien entendu ponctuellement informés des évolutions dans ce dossier.
Thierry Nollet - Directeur du Secrétariat Social
Sabine de Cock - Directeur-Adjoint du Service Sociojuridique