Responsabilité solidaire du contractant direct pour des travaux de construction

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Si l’entrepreneur auquel vous faites directement appel pour des activités de construction ne verse pas l’ensemble (ou une partie) de la rémunération due à ses travailleurs, vous en serez, en tant que contractant direct, solidairement responsable. Toutefois, ce risque peut être limité de plusieurs façons. Notons enfin que l’ancienne réglementation concernant la responsabilité solidaire en matière salariale reste d’application.

Récemment, nous annoncions sur notre site que la directive européenne relative au détachement avait été transposée dans la législation belge. Cette nouvelle loi se divise en quatre groupes de mesures. Dans cet article, nous nous intéresserons au troisième groupe, et plus particulièrement aux mesures relatives au régime particulier de responsabilité solidaire du contractant direct dans le cadre d’activités relatives au secteur de la construction.

Qui est concerné ?

Avant toute chose, définissons d’abord le champ d’application de cette mesure.

Activités du secteur de la construction

Cette notion recouvre les travaux ou les services mentionnés :

  • dans le domaine de compétences de la commission paritaire de la construction (CP 124) ;
  • dans le domaine de compétences d’une des commissions paritaires mentionnées ci-dessous, et qui sont également considérés comme des travaux immobiliers au sens de l’article 20, paragraphe 2, de l’arrêté royal n° 1 du 29 décembre 1992 relatifs aux mesures tendant à assurer le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée  :
    • la commission paritaire des constructions métallique, mécanique et électrique (CP 111) ;
    • la commission paritaire pour le nettoyage (CP 121)
    • la commission paritaire de l’ameublement et de l’industrie transformatrice du bois (CP 126) ;
    • la sous-commission paritaire des électriciens : installation et distribution (SCP 149.01)

Contractant direct

Ce nouveau régime de responsabilité solidaire s’applique au contractant direct, soit le donneur d’ordres, l’entrepreneur et l’entrepreneur intermédiaire qui font appel, pour des activités relevant du domaine de la construction, à un entrepreneur ou à un sous-traitant.

Le donneur d’ordres particulier n’est pas concerné

Ce nouveau régime ne s’applique en effet pas au donneur d’ordres qui est une personne physique et fait exécuter ce type de tâches à des fins purement privées.

Pas seulement en cas de détachement

Cette responsabilité solidaire a été élaborée en vue de la transposition de la directive européenne relative au détachement. Elle ne vaut pas uniquement pour des rémunérations dues à des travailleurs détachés depuis un autre pays, mais s’applique aussi pour des travailleurs occupés de façon permanente en Belgique, peu importe que l’employeur y soit établi.

De quoi s’agit-il ?

Responsabilité solidaire pour la rémunération due

Le contractant direct qui fait appel à un entrepreneur ou un sous-traitant pour des activités relatives au secteur de la construction est solidairement responsable du paiement de la rémunération qui est due aux travailleurs occupés par l’entrepreneur ou le sous-traitant et qui correspond aux prestations de travail effectuées par le travailleur pour ce contractant direct.

On entend par « rémunération due » la rémunération due au travailleur, mais qui n’a pas encore été payée, ni par son employeur ni par celui qui est tenu de la payer pour le compte de cet employeur, à l’exception des indemnités auxquelles le travailleur a droit à la suite de la rupture de son contrat de travail.

Exception pour les contractants prévoyants

Le contractant direct ne sera pas solidairement responsable s’il est en possession d’une déclaration écrite, signée par lui et par son entrepreneur (ou son sous-traitant), dans laquelle :

  • le contractant direct communique à son entrepreneur (ou à son sous-traitant) les coordonnées du site internet du Service public fédéral Emploi, Travail et Concertation sociale dans lequel sont reprises les informations relatives à la rémunération due, et ;
  • l’entrepreneur (ou le sous-traitant) du contractant direct certifie qu’il paie et paiera la rémunération due aux travailleurs de cet entrepreneur.

Cette déclaration écrite ne doit pas nécessaire faire l’objet d’un document distinct, mais peut être reprise sous forme de clause dans la convention passée entre le contractant et l’entrepreneur (ou le sous-traitant).

Connaissance du non-paiement

Responsabilité solidaire malgré la déclaration écrite

Le législateur veut éviter que le contractant direct en possession de la déclaration décrite ci-dessus ne soit pas considéré comme solidairement responsable s’il était au courant que l’entrepreneur (ou le sous-traitant) n’était pas en mesure de payer aux travailleurs la rémunération due.

Le contractant direct est donc solidairement responsable du paiement de la rémunération correspondant aux prestations effectuées à l’expiration d’un délai de 14 jours ouvrables prenant cours au moment où ce contractant direct a pris connaissance du fait que l’entrepreneur (ou le sous-traitant) ne paie pas l’ensemble (ou une partie) de la rémunération due aux travailleurs.

Une telle connaissance est prouvée, entre autres, quand le contractant direct en est informé par les services d’inspection, selon une procédure spécifique (voir ci-dessous). La preuve de cette connaissance peut être apportée par tous les moyens de droit.

Dans ce cas, la responsabilité solidaire ne s’applique que pour les situations à venir. Le délai de 14 jours ouvrables doit permettre au contractant direct de prendre les mesures nécessaires afin de ne pas être tenu responsable (par exemple, en faisant cesser cette situation, par sa propre intervention ou une clause de résiliation).

Vous envisagez de recourir à un entrepreneur ou un sous-traitant pour effectuer des activités relatives à la construction ? Dans le contrat, reprenez la déclaration écrite et une clause de résiliation en cas de connaissance de non-paiement de la rémunération due par l’entrepreneur ou le sous-traitant aux travailleurs.

Employeur signalé

Le législateur a également prévu une notification écrite spécifique sur le plan de la responsabilité solidaire particulière du contractant direct en cas d’activités dans le domaine de la construction.

Les inspecteurs sociaux peuvent informer un contractant direct que l’entrepreneur ou le sous-traitant manque à son obligation de verser la rémunération due aux travailleurs.

Cette notification doit mentionner :

  1. le nombre et l’identité des travailleurs dont les inspecteurs sociaux ont constaté qu’ils ont fourni des prestations dans le cadre d’activités dans le domaine de la construction que le contractant direct fait effectuer par le biais de son entrepreneur (ou son sous-traitant), qui est lui-même employeur desdits travailleurs ;
  2. l’identité et l’adresse de l’entrepreneur employeur ou du sous-traitant employeur qui ont manqué à leur obligation de payer la rémunération due à leurs travailleurs ;
  3.  la rémunération à laquelle les travailleurs concernés ont droit à charge de leur employeur, mais qui n’a pas été payée par cet employeur ;
  4. le ou les lieux où sont exécutées les activités dans le domaine de la construction par les travailleurs concernés ;
  5. l’identité et l’adresse du donneur d’ordres, de l’entrepreneur ou de l’entrepreneur intermédiaire, destinataires de la notification.

Une copie de la notification sera transmise à l’entrepreneur (ou au sous-traitant) concerné.

Affichage de la notification

L’employeur signalé doit afficher une copie de cette notification au(x) lieu(x) où les travailleurs concernés effectuent ces activités liées à la construction.

Si l’employeur signalé ne respecte pas  cette obligation, le contractant direct doit y veiller.

Assimilation à l’employeur

Le contractant direct responsable solidairement est assimilé à l’employeur pour certaines obligations et conditions dans le cadre de la loi concernant la protection de la rémunération. Il s’agit notamment :

  • du délai et le mode de paiement de la rémunération ;
  • de l’intérêt dû sur la rémunération (ou l’intérêt calculé à partir du moment où la rémunération peut être exigée, vis-à-vis du réel employeur) ;
  • de l’émission obligatoire d’une fiche de salaire ou d’un document semblable du pays de détachement ;
  • des limitations relatives aux retenues sur le salaire des travailleurs concernés.

Défense des droits des travailleurs

Si cette responsabilité solidaire devait engendrer des litiges, les organisations représentatives des employeurs et des travailleurs du secteur privé, ainsi que les organisations syndicales du secteur public peuvent ester en justice afin de défendre les droits des travailleurs concernés. Ces travailleurs doivent toutefois donner leur accord.

Notons que les travailleurs peuvent également agir eux-mêmes, se joindre à l’action ou intervenir à la cause.

Sanctions

Si le contractant direct solidairement responsable n’affiche pas la notification des services d’inspections (voir plus haut) ou ne paie pas les rémunérations dues, il s’expose à une sanction de niveau 2, telle que définie dans le Code pénal social. Selon les décimes applicables depuis le 1er janvier 2017, il s’agit donc d’une amende administrative allant de 200 à 2000 euros ou d’une amende pénale allant de 400 à 4000 euros.

Qu’en est-il des autres régimes de responsabilité solidaire pour les cocontractants ?

Malgré ces nouvelles dispositions, d’autres règles de responsabilité solidaire en matière salariale dans le cadre d’un contrat d’entreprise ou de sous-traitance existent toujours. Il est d’ailleurs assez intéressant d’examiner le rapport entre les nouvelles règles et celles existantes.

Responsabilité solidaire générale en matière salariale

Dans certains secteurs, notamment dans ceux visés par la nouvelle législation, un régime général de responsabilité solidaire en matière salariale existe déjà depuis le 1er septembre 2013. Les principales différences avec la nouvelle réglementation sont les suivantes :

  • le régime général prévoit une responsabilité solidaire graduelle. Le donneur d’ordre est donc responsable pour l’ensemble de la chaine d’intervenants et chaque entrepreneur (ou sous-traitant) pour les intervenants qui le suivent. L’ordre chronologique n’est pas respecté.
  • la responsabilité solidaire du régime général ne commence que lorsque les services d’inspections ont averti le donneur d’ordre ou l’entrepreneur (ou le sous-traitant) du non-paiement des travailleurs par l’entrepreneur (ou le sous-traitant)
  • la solidarité solidaire générale est limitée dans le temps (maximum 1 an)

Avec la nouvelle réglementation, le régime général ne s’applique plus dans le cas d’une relation directe d’un contractant et d’un entrepreneur (ou d’un sous-traitant) pour des activités relatives au secteur de la construction.

Régime particulier de responsabilité solidaire pour la rémunération des ressortissants de pays tiers en séjour illégal

Un ressortissant de pays tiers en séjour illégal ne sera jamais concerné par le régime général ni pour le régime spécifique du secteur de la construction détaillé dans cet article.

Dans un tel cas, on devra alors se conformer au régime particulier en matière de responsabilité solidaire pour la rémunération des ressortissants de pays tiers en séjour illégal.

Depuis quand est-ce d’application ?

Ces mesures s’appliquent depuis le 30 décembre 2016.