Critiquer son employeur sur Facebook ? Oui mais…

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Les réseaux sociaux sont devenus des outils de communication incontournables. Leur incursion dans le monde professionnel peut toutefois être source de discordes au sein des entreprises… Quid des propos en ligne nuisant à l’employeur ?

Dans notre précédent article, nous vous expliquions comment encadrer l’utilisation des réseaux sociaux sur le lieu de travail afin d’éviter des abus.

Cette question est remise à l’ordre du jour par les « e-injures » ou, autrement dit, les insultes en ligne à l’égard de l’employeur.

La Cour du travail de Mons a récemment eu l’occasion de revenir sur cette question dans un arrêt du 28 avril 2018.

Principes applicables en la matière

Le droit à la liberté d’expression est un droit fondamental dont profitent également les travailleurs dans le cadre de l'exécution de leur contrat de travail. Ce droit recouvre en fait le droit d’avoir une opinion ainsi que de l’exprimer et cela, le cas échéant, sous forme de critique.

Dans le cadre professionnel, l’exercice de cette liberté revêt toutefois certaines spécificités compte tenu du lien de subordination existant entre le travailleur et l’employeur. En effet, la signature d’un contrat de travail emporte une série d’obligations qui peuvent impacter l’exercice de la liberté d’expression du travailleur. On pense notamment à l’obligation de manifester respect et égards envers l’employeur ou encore à l’obligation d’effectuer son travail avec soin probité et conscience.

Il y a lieu de parvenir à trouver un équilibre entre d’une part, ce droit fondamental et d’autre part, l’exercice de l’autorité patronale afin d’éviter toute ingérence disproportionnée dans la liberté d’expression.

Que s’est-il passé ?

Un délégué syndical conteste son licenciement pour motif grave. Dans le cadre d’un conflit social au sein de l’entreprise, il avait brisé le pare-brise du directeur et avait déversé de l’eau sur la tête de ce dernier. Le délégué syndical ne s’est toutefois pas arrêté là. Le soir même, il diffuse des déclarations et caricatures sarcastiques sur Facebook. Il est alors licencié pour motif grave.

L’employeur soutient, d’une part, que ces publications Facebook le dénigrent personnellement puisqu’il est directement nommé et, d’autre part, qu’elles portent atteinte à son autorité.

Le travailleur ne conteste pas être l’auteur de ces publications. Il estime cependant qu’il a agi en conformité avec son droit à la liberté d’expression. Il insiste également sur le fait que son profil Facebook est privé.

Qu’a décidé la Cour ?

Selon la Cour, les caricatures publiées sur Facebook par le délégué syndical sont offensantes à l’égard de l’employeur et portent atteinte à son autorité. Le droit de critique a donc ici été exercé de manière fautive par le travailleur.

Le fait que la publicité du compte Facebook du travailleur soit limitée à ses “amis” est ici sans importance étant donné que parmi ses “amis”, le délégué syndical compte certains de ses collègues. L’un d’entre eux a d’ailleurs commenté les caricatures publiées… Par conséquent, ces dernières sont considérées comme publiques et non pas privées.

La Cour a dès lors validé le licenciement pour motif grave qui a été renforcé par les publications sur Facebook.

Que retenir ?

Tout d’abord, il est incontestable que tout travailleur dispose du droit de critiquer son employeur. Cependant, sa liberté d’expression ne l’emporte pas sur son obligation de manifester respects et égards envers ce dernier. En d’autres termes, la critique doit demeurer raisonnable et proportionnée et ne pas être injurieuse ou violente.

Ensuite, on retiendra qu’une majorité de la jurisprudence a tendance à considérer que les publications ou avis postés sur les réseaux sociaux relèvent de la sphère publique.

Enfin, la prudence reste de mise. Si vous êtes confrontés à des critiques sur les réseaux sociaux par un travailleur le licenciement de ce dernier ne sera pas nécessairement validé par le juge. Celui-ci analysera les circonstances concrètes.

Que faire à titre préventif ?

Il est recommandé d’intervenir en amont en prévoyant une annexe au règlement de travail qui précise les droits et obligations des travailleurs afin de les responsabiliser et les conscientiser quant aux propos tenus sur les médias sociaux et ce, même en dehors des heures de travail.

Vous pouvez également compléter la liste des faits pouvant constituant un motif grave contenue dans votre règlement de travail.

Dans les deux cas, cela devra être effectué dans le respect des règles habituelles en matière de modification de règlement de travail. Si l’entreprise dispose d’un Conseil d’Entreprise, la modification devra être réalisée au sein de cet organe. En l’absence de Conseil d’Entreprise, la modification du règlement de travail devra être portée à la connaissance du personnel dans le respect des procédures légales en vigueur.

 

Sources

Cour trav. Mons, 27 avril 2018, J.T.T., 2019, p. 402 à 406.

Art. 16 (al. 1 et 2) de la loi du 3 juillet 1978, M.B., 22 août 1978.