Avantages octroyés par une société-mère établie à l’étranger : le paiement des cotisations sociales difficilement évitable

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Dans un arrêt récent, la Cour de cassation a confirmé l’élargissement de la notion de rémunération par l’O.N.S.S. Les actions attribuées par une société-mère aux travailleurs de ses filiales sont notamment concernées et sont en principe soumises.

Il y a quelque temps, l’O.N.S.S. avait modifié ses instructions au niveau de la définition de la notion de rémunération pour le calcul des cotisations de sécurité sociale. Cet élargissement avait essuyé de vives critiques de la part du monde juridique. Mais la Cour de cassation vient de rendre un arrêt qui va dans le même sens que la position de l’O.N.S.S.

1. Qu’entend-on par rémunération au sens de la sécurité sociale ?

Il y a rémunération lorsque :

  • il est question d’espèces ou d’un avantage évaluable en espèces ;
  • le travailleur a droit à cet avantage ;
  • ce droit découle de son engagement ;
  • la charge de cet avantage repose sur l’employeur.

L’employeur n'est pas tenu de retenir et de payer des cotisations de sécurité sociale si un des éléments précités n'est pas rempli.

Le dernier élément (« à charge de l’employeur ») a fait l’objet de précisions par l’O.N.S.S.

Depuis un certain temps, l’O.N.S.S. estime que la notion "à charge de l'employeur" signifie aussi bien directement à charge de l'employeur, c'est-à-dire dans les cas où l'employeur octroie directement l'avantage au travailleur, qu'indirectement à charge de l'employeur. Dans ce second cas, sont visées tant les situations où un avantage octroyé au travailleur par un tiers est facturé par ce dernier à l'employeur même (par exemple, les primes de fin d'année versées par un fonds de sécurité d'existence) que les situations dans lesquelles l'employeur, bien qu'il ne supporte pas le coût financier de l'avantage, est la personne vers laquelle le travailleur doit se tourner lorsqu'il n'a pas reçu l'avantage (par exemple, lorsqu'une société belge reçoit de sa maison mère installée à l'étranger un montant à répartir entre ses travailleurs).

Fin 2018, l’O.N.S.S. est allé un peu plus loin et estime que, dans le second cas (indirectement), sont visées :

  • tant les situations où un avantage octroyé au travailleur par un tiers est facturé par ce dernier à l'employeur même (par exemple, les primes de fin d'année versées par un fonds de sécurité d'existence)
  • que d'autres situations dans lesquelles l'octroi est la conséquence des prestations réalisées dans le cadre du contrat de travail conclu avec l'employeur, ou est lié à la fonction exercée par le travailleur chez l'employeur.

Par conséquent, pour l’O.N.S.S., chaque avantage qui est attribué dans un contexte professionnel doit être considéré comme de la rémunération et, en principe, des cotisations sociales sont dues à ce titre.

D’après une doctrine majoritaire, cette vision de la notion de rémunération est trop étendue et n’est pas conforme avec la définition légale de la notion de rémunération. Selon cette doctrine, la condition de « à charge de l’employeur » est confondue avec celle de « en raison de son engagement ». Pour être considéré comme rémunération, il faut que l’avantage soit en lien avec l’engagement et à charge de l’employeur.

2. Qu’en pense la jurisprudence ?

Les acteurs de terrains attendaient donc avec impatience l’avis de la jurisprudence sur ce sujet.

Dans un arrêt du 20 mai 2019, la Cour de cassation a confirmé la position générale de l’O.N.S.S.

Des cotisations de sécurité sociale sont dues si l'octroi est la conséquence des prestations fournies dans le cadre du contrat de travail conclu avec l’employeur, ou est lié à la fonction exercée par le travailleur chez l’employeur. Le fait qu'un tiers supporte la charge financière ou soit responsable du paiement effectif n'enlève rien à cela.

3. Quel impact pour les actions octroyées par une société-mère ?

3.1. Selon la définition « traditionnelle » de la notion de rémunération

Si les actions sont octroyées par la société belge (employeur), les conditions pour être considérées comme de la rémunération sont remplies et les cotisations de sécurité sociale sont dues.

Si les actions sont octroyées par la société-mère établie à l’étranger aux travailleurs de la filiale belge, elles ne sont en principe pas soumises aux cotisations de sécurité sociale, dans la mesure où l’employeur belge ne supporte ni la charge économique ni la charge juridique de cet avantage.

3.2. Selon la nouvelle position de l’O.N.S.S.

L’O.N.S.S. considère maintenant explicitement qu’il est question d’un avantage à charge de l’employeur soumis aux cotisations de sécurité sociale dès qu’il existe un lien entre le contrat de travail (ou la fonction exercée) et l’avantage qui est octroyé par une partie tierce.

Avec cette nouvelle définition, les actions octroyées par la société-mère établie à l’étranger aux travailleurs de la filiale belge doivent être considérées comme de la rémunération soumise aux cotisations de sécurité sociale.

3.3. Impact de l’arrêt de la Cour de cassation

Il sera à présent difficile de soutenir que des actions ou des avantages octroyés par une société-mère établie à l’étranger aux travailleurs d’une filiale belge ne doivent pas être considérés comme de la rémunération.

En cas de contrôle, le risque est bien réel que l’O.N.S.S. réclame le paiement des cotisations de sécurité sociale sur ces avantages accordés par la société-mère étrangère.

4. Et au niveau fiscal ?

Au niveau fiscal, les rémunérations imposables fiscalement des travailleurs sont toutes rétributions qui constituent, pour le travailleur, le produit du travail au service d’un employeur. Le fisc a donc déjà, depuis longtemps, cette vision large de la notion de rémunération.

Par ailleurs, depuis le 1er mars 2019, les employeurs belges dont les travailleurs perçoivent également des avantages versés par des sociétés étrangères doivent retenir le précompte professionnel sur ceux-ci. Ils doivent également mentionner ces avantages sur les fiches fiscales des travailleurs concernés.

Nous vous renvoyons à notre article du 18 février 2019 pour de plus amples détails.

Cette position de l’O.N.S.S., renforcée par la jurisprudence, engendrera certainement un coût supplémentaire pour les employeurs belges appartenant à des groupes internationaux qui octroient des avantages aux travailleurs des différentes filiales. Sans compter qu’à côté des cotisations de sécurité sociale, la question du pécule de vacances sur rémunération variable va se poser…

Sources : instructions administratives O.N.S.S., 3ème trimestre 2018 ; C. cass. 20 mai 2019, S.18.0063.F/1.