Lanceurs d’alerte: procédure et canal de signalement internes obligatoires

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La nouvelle réglementation qui impose aux entreprises comptant plus de 50 travailleurs de mettre en place une procédure, un canal de signalement ainsi qu’un suivi qui permettent aux travailleurs de signaler certaines violations du droit de l’Union européenne dans un contexte professionnel, entre en vigueur le 15 février 2023. Les travailleurs qui signalent ces violations bénéficient d’un régime de protection.


La loi du 28 novembre 2022 sur la protection des personnes qui signalent des violations transpose la directive de l’Union européenne (UE) 2019/1937 et permet donc à la réglementation belge d’être conforme aux obligations qu’impose l’UE dans cette matière. Elle prévoit des normes minimales communes visant une plus grande efficacité du droit de l’UE grâce à la possibilité de signaler des violations tout en assurant une protection des personnes qui signalent des violations (appelés  lanceurs d’alerte). Dans le cadre d’une relation de travail, cette protection est primordiale pour un travailleur, car il pourrait être réticent à signaler des violations par crainte de représailles.

1. Domaines et canaux de signalement d’une violation

Le lanceur d’alerte peut communiquer des informations concernant une violation par deux canaux.

Lorsqu’un lanceur d’alerte communique une information concernant une violation par écrit ou verbalement au sein de l’entreprise qui l’occupe, il s’agit d’un signalement interne. L’accès qui rend possible ce signalement et que l’entreprise doit mettre en place est désigné par le « canal ». Le lanceur d’alerte peut également opter pour un signalement externe (auprès des autorités publiques compétentes) ou pour une divulgation publique si le lanceur d’alerte décide de publier l’information via un blog ou par l’intervention d’un journaliste. 

Selon la nouvelle loi, les domaines dans lesquels un signalement est possible sont (entre autres) les marchés publics, les services, produits et marchés financiers, la protection de l’environnement, la santé publique etc. Le lanceur d’alerte n’est protégé que s’il signale une violation dans un ou plusieurs de ces domaines.

Sont exclus du champ d’application de la loi: le domaine de la sécurité nationale, les informations classifiées, les informations couvertes par le secret médical, les renseignements entre un avocat et son client ainsi que le secret des délibérations judiciaires.

2. Entreprises visées

2.1 Délai et obligation de mise en place d'un canal de signalement

Les entreprises visées par la mise en place obligatoire d’un canal de signalement sont les entreprises relevant du secteur privé qui occupent au moins 50 travailleurs. Par ‘entreprise’, la loi vise l’entité juridique.

Toutefois, ce seuil ne s’applique pas aux :

  • entreprises actives dans le domaine financier ;
  • entreprises actives dans le domaine de la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.

Celles-ci sont obligées de créer un canal de signalement interne, peu importe le nombre de travailleurs qu’elles occupent.  

Pour les entreprises comptant plus de 250 travailleurs, une obligation supplémentaire s’applique: ces entités devront rendre possible des signalements anonymes.

Enfin, le délai pour la mise en place d’un canal de signalement dépend à son tour du nombre de travailleurs dans l’entreprise.

Nombre de travailleurs

Type de canal obligatoire

Délai de mise en place

Les entreprises occupant moins de 50 travailleurs

Aucun (sauf pour le secteur financier, de la prévention du blanchiment etc.)

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Les entreprises occupant entre 50 et 249 travailleurs

Canal de signalement interne

17 décembre 2023

Les entreprises occupant plus de 250 travailleurs 

Canal de signalement interne et traitement anonyme

15 février 2023

Le nombre de travailleurs occupés par l’entreprise est une moyenne des travailleurs occupés au sein de l’entreprise en tant qu’entité juridique. Le calcul de cette moyenne se fait sur base des règles de calcul pour les élections sociales. 

Une entreprise est réputée occuper plus de 50 travailleur si ce nombre est atteint durant la période débutant le 1er octobre 2022 et s'étendant jusqu'au 30 septembre 2023. Ce nombre ne peut être revérifié que par période d'élections sociales (tous les 4 ans): suivant la législation sur les élections sociales, le début de cette période de référence se situe six trimestres avant le trimestre au cours duquel commence les élections sociales.

2.2 Notion de "secteur financier"

Par « secteur financier », il faut entendre les entreprises qui se trouvent sous le contrôle de l’Autorité des services et marchés financiers (FSMA), à savoir :

  • les sociétés de gestion de portefeuille et de conseil en investissement;
  • les sociétés de gestion d'organismes de placement collectif ;
  • les gestionnaires d'organismes de placement collectif alternatif, les « OPCA »;
  • les bureaux de change;
  • les organismes de placement collectif;
  • les organismes de placement en créances
  • les entreprises et des opérations dans le cadre du crédit à la consommation ;
  • les intermédiaires d'assurances, les intermédiaires d'assurance à titre accessoire et des intermédiaires de réassurances (à l'exception des intermédiaires d'assurances en matière d'organisation de l'assurance maladie complémentaire) ;
  • les intermédiaires en services bancaires et en services d'investissement;
  • les sociétés immobilières réglementées ;
  • les planificateurs financiers indépendants;
  • les prêteurs et des intermédiaires de crédit
  • les prestataires de services de financement participatif
  • les administrateurs d’indice de référence;
  • les prestataires de services d'échange entre monnaies virtuelles et monnaies légales et des prestataires de services de portefeuilles de conservation

3. Canal de signalement

3.1 Conditions

Les entreprises doivent établir des procédures de signalement et de suivi qui répondent à certaines exigences. Ainsi, elles devront:

  • fournir les informations nécessaires aux travailleurs sur le canal de signalement;
  • permettre un signalement par écrit ou verbalement (contact téléphonique ou lors d’un entretien);
  • protéger de manière sécurisée la confidentialité de l’identité du lanceur d’alerte (et d’autres tiers cités à l’occasion du signalement);
  • traiter les données à caractère personnel conformément à la réglementation y afférente.
  • répondre à un signalement en :
    • fournissant un accusé de réception au lanceur d’alerte dans les 7 jours après réception du signalement; ainsi qu’en
    • envoyant un retour d’informations dans un délai raisonnable (maximum 3 mois à dater de l’accusé de réception);
  • tenir un registre qui reprend tous les signalements effectués. Ces signalements seront conservés jusqu’à la fin de la relation contractuelle.

3.2 Comment mettre en pratique?

Une consultation des partenaires sociaux est requise préalablement à la mise en œuvre du canal de signalement. Il s’agit, selon le cas, du conseil d’entreprise, du comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT) ou, à défaut, de la délégation syndicale.

Ensuite, l’entreprise a deux options afin de mettre en œuvre un canal de signalement. Elle peut le faire en interne, en désignant un gestionnaire de signalement impartial, soit en confiant la mise en place et la gestion du canal à un tiers. Dans les deux cas, l’entreprise demeure responsable du traitement des données à caractère personnel.

Enfin, l’entreprise peut elle-même décider si elle souhaite permettre à d’autres lanceurs d’alerte que les travailleurs d’avoir accès au canal interne afin d’effectuer des signalements : il peut s’agir de travailleurs indépendants, de sous-traitants ou d’anciens travailleurs.

3.3 Sanctions en cas de non-respect

Lorsque l’employeur (ou son préposé ou son mandataire) ne respecte pas l’obligation de mettre en place un canal de signalement, il encourt une sanction de niveau 4, ce qui implique:

  • Soit une peine d’emprisonnement de six mois à trois ans et une amende pénale de 4.800 à 48.000 euros (décimes additionnels inclus) ou l’une de ces peines seulement.
  • Soit une amende administrative de 2.400 à 24.000 euros (décimes additionnels inclus).

L’employeur, les membres de son personnel ainsi que toute personne physique ou morale encourent également une peine d’emprisonnement et/ou six mois à trois ans et une amende pénale de 4.800 à 48.000 euros (décimes additionnels inclus) lorsqu’ils :

  • entravent ou tentent d’entraver le signalement
  • intentent des procédures inutiles ou vexatoires
  • exercent des représailles
  • méconnaissent l’obligation de confidentialité de l’identité des auteurs

4. Protection du lanceur d’alerte

4.1 Qui est protégé?

Comme indiqué plus haut, la protection ne se limite pas seulement aux personnes ayant la qualité de  travailleurs salariés: elle s’applique également aux actionnaires de l’entreprise, aux travailleurs indépendants et aux personnes liées à un organe de gestion.

De plus, il n’est pas requis qu’une personne soit déjà liée par un contrat de travail au moment d’effectuer le signalement. Tel sera par exemple le cas d’un candidat à l’embauche qui lors d’un entretien prend connaissance d’éventuelles violations qu’il voudrait signaler ou encore d’un (ex-) travailleur qui signale une violation après que la relation de travail ait pris fin.

4.2 Dans quelles circonstances vaut la protection?

La protection des lanceurs d’alerte est soumise à la condition qu’ils aient des motifs raisonnables de croire qu’au moment du signalement les informations signalées étaient véridiques et qu’ils aient suivi la procédure prévue par la nouvelle loi (voir point 3.1 ci-dessus.).

Le lanceur d’alerte doit avoir obtenu les informations qui fondent le signalement dans un contexte professionnel, à l’exception du domaine financier, de la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme. Dans ces secteurs, les lanceurs d’alerte seront protégés même s’ils n’ont pas obtenu l’information dans un contexte professionnel. De plus, les informations signalées par les lanceurs d’alerte doivent concerner une (des) violation(s) à laquelle la nouvelle loi s’applique (voir point 1. ci-dessus).

En outre, si le lanceur d’alerte recourt à l’anonymat pour effectuer un signalement, il sera également protégé si son identité est révélée ultérieurement et qu’il est victime de représailles.

4.3 Contenu de la protection et sanctions

La loi interdit tout type de représailles ou de traitement défavorable vis-à-vis du lanceur d’alerte pour autant que son signalement respecte les conditions précitées. Les menaces et tentatives de représailles (licenciement, suspension, mauvaise évaluation, mise à pied etc.) sont également couvertes par la protection.

Si l’employeur méconnait l’interdiction de représailles ou de traitement défavorable et qu’il n’est pas en mesure d’apporter la preuve du contraire:

  • le travailleur ayant signalé une violation pourra obtenir une indemnité entre 18 et 26 semaines de rémunération.
  • la victime de représailles non salariée pourra réclamer des dommages et intérêts, d’une valeur équivalente au préjudice réellement subi et devra prouver l’étendue du préjudice subi.

Si l’employeur licencie le travailleur, cette indemnité s’ajoutera au délai de préavis ou l’indemnité de rupture à respecter.

Un régime spécial d’indemnisation s’applique pour le signalement aux infractions concernant le domaine financier, de la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.

Les lanceurs d’alertes doivent également avoir accès à des mesures de soutien nécessaires, à des voies de recours et à une indemnisation s’ils sont victimes de représailles.

5. Entrée en vigueur

Cette loi a été publiée au Moniteur Belge le 15 décembre 2022 entre en vigueur le 15 février 2023 pour certaines entreprises.

La loi entre en vigueur le 15 février 2023 pour les entreprises comptant plus de 250. Elles doivent pour cette date mettre en place un canal de signalement.

Les entreprises comptant entre 50 et 249 travailleurs ont jusqu’au 17 décembre 2023 afin de se conformer à leurs obligations en matière de procédures, de canal de signalisation et leur suivi.

Attention: les entreprises actives dans les secteurs suivants devront, peu importe le nombre de travailleurs, avoir mis en place le canal de signalement pour le 15 février 2023:

  • services, produits et marchés financiers
  • prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme

 

Source: Loi du 28 novembre 2022 sur la protection des personnes qui signalent des violations au droit de l'Union ou au droit national constatées au sein d'une entité juridique du secteur privé, M.B. 15 décembre 2022.