Lois anti-discrimination : renforcement des formes et des critères de discrimination

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Depuis le 30 juillet 2023, les lois anti-discrimination contiennent de nouvelles formes telles que la discrimination multiple, des critères modifiés tels que ‘transition médicale ou sociale’ au lieu de ‘changement de sexe’. De plus, les mesures de protection ont été renforcées afin d’adapter la législation aux évolutions législatives et sociales présentes dans notre société. À l'employeur d'en tenir compte aussi dans sa relation avec ses travailleurs.


Cette mesure entend moderniser les lois anti-discrimination compte tenu des évolutions sociales de notre société actuelle. Le parlement a voulu ainsi élever le niveau de protection de personnes sujettes à discrimination afin que celui-ci soit à la hauteur des défis contemporains (tels que des questions identitaires ou de transition médicale ou sexuelle, des discriminations occultes etc.).

Cette mesure s’inscrit dans le prolongement des mesures de protection contre licenciement entrées en vigueur le 1er juin 2023, voir notre article Protection contre le licenciement: extension en cas de discrimination, violence ou de harcèlement moral ou sexuel au travail | Group S.

1. Nouvelles formes de discrimination

1.1 Discrimination multiple

Dans un premier temps, la nouvelle réglementation prévoit deux types de discrimination multiples : la discrimination cumulée et la discrimination intersectionnelle auxquels un même régime de justification s’applique.  

Forme 1 : discrimination cumulée

Cette situation se présente lorsqu’une même personne est victime de deux ou plusieurs discriminations dans un même contexte de la part du même auteur. Les motifs de discrimination sont distincts mais s’attribuent tous les deux à la victime de discrimination.

Exemple : Un employeur refuse de renouveler le contrat de Jeanine (une femme chrétienne), car il a dorénavant décidé de n’occuper plus que des hommes non chrétiens. Il justifie sa politique en disant que cela serait plus simple car tout le monde parviendrait plus rapidement à s’entendre sur le lieu de travail. L’employeur met donc à mal à la fois les personnes ayant la caractéristique d’être femme (le genre) et chrétienne (la religion).

Forme 2 : Intersectionnelle

Dans cette situation, la personne est discriminée en raison de plusieurs caractéristiques combinées . La discrimination n’affecte la personne que si elle présente ces multiples caractéristiques à la fois.

Exemple : un homme d’origine magrébine n’est pas engagé comme aide soignant dans une maison de repos au motif qu’il y a déjà trop d’hommes de cette même ethnie dans l’établissement. L’employeur soupçonne qu’un trop grand groupe d’hommes d’origine magrébine parle souvent trop fort et manquent parfois de douceur, ce qui nuirait à la tranquillité et la sérénité de l’établissement. Ici, l'employeur met donc à mal les hommes qui sont d'origine magrébine (et non les femmes magrébines ou les hommes non magrébins).

Forme 1 et 2 : Régime de justification applicable

Ces deux premières formes de discrimination consistent en une combinaison de deux ou plusieurs critères protégés. Cela signifie que ceux-ci seront traités comme une seule et même situation, ce qui a un impact sur les motifs de justification que l'auteur de discrimination peut invoquer. C'est pour cela que la nouvelle législation prévoit que si une personne est victime de deux ou plusieurs critères de discrimination, le motif de justification le plus sévère doit être appliqué. Cela veut dire le motif de justification le plus favorable à la victime.

Exemple : comme Jeanine a été discriminée en raison de son sexe et de sa conviction religieuse, il faut regarder lequel des régimes de justification dans la loi genre et et dans la loi anti discrimination est le plus strict (et donc favorable à Jeanine). Dans ce cas-ci, la différence de traitement peut uniquement être justifiée si les conditions de justification de la loi genre sont réunies puisqu’elles sont plus strictes que dans la loi anti-discrimination.

1.2 Discrimination indirecte: nouvelles formes

Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle mesure, il existe une deuxième catégorie de discriminations, à savoir celle où la victime est impactée négativement alors qu’elle n’est elle-même pas porteuse du critère de discrimination violé.

Forme 3 : Discrimination par association

Une personne peut également être victime de discrimination parce qu’elle est étroitement liée à une personne présentant un critère protégé.

Exemple: la candidature de l’épouse d’un homme atteint d’un grave cancer n’est pas retenue, car l’employer soupçonne que la candidate devra s’occuper de son mari et rester très souvent proche de lui, ce qui risque d’impacter son (temps de) travail.

Forme 4 : Discrimination fondée sur un critère supposé

Lorsqu’un employeur viole une caractéristique protégée par la loi à une personne qui lui est en réalité étrangère, il s’agit de discrimination fondée sur un critère supposé.

Exemple : Un travailleur subit une discrimination en raison de sa (prétendue) conviction religieuse en suite à l'implication de sa mère dans la parution d’un magazine chrétien. Bien que son employeur le croie chrétien, il n’est pas chrétien lui-même mais soutient simplement le projet mené par sa mère.

2. Quels critères ont été modifiés ?

Certains critères ont été adaptés dans les différentes lois anti-discrimination afin de répondre au besoin d’un contexte social changeant ainsi qu’à l’évolution dans la jurisprudence.

2.1 Origine ou condition sociale

Le critère de l’origine sociale a été remplacé et étendu au critère de l’« origine ou de la condition sociale » de sorte que la loi vise désormais également les personnes subissant une discrimination au cours de la relation de travail en raison de leur condition sociale actuelle.

Exemple : les sans-abris, les demandeurs d’emploi ou personnes trainant un passé judiciaire

2.2 La transition médicale ou sociale

Le concept de « changement de sexe » n’était plus en phase avec la réalité actuelle des questions socio-médicales et/ou identitaires souvent nuancée et progressive. L’ancienne formulation imposait en effet un critère trop rigide: pour les questions de genre, elle imposait par exemple une chirurgie d’affirmation du nouveau genre d’un individu pour que ce critère puisse être invoqué. C’est afin de tenir compte du processus graduel et individualisé de chaque personne dans une telle phase que depuis le 30 juillet 2023, il est question de « transition médicale ou sociale ».

Quelles types de transitions ? Transition médicale (exemple : traitement sous hormones), transition sociale (se vêtir ou se comporter d’une manière conforme à son identité ressentie) ou transition légale (exemple: procédure administrative en changement de nom).

Exemple: l’employeur prend connaissance de la transition légale d’un travailleur de femme en homme car il n’est pas en mesure de répondre à un questionnaire en ligne où son nom est demandé, car une procédure administrative en changement de nom est en cours. Cette personne ne peut être discriminée, même si son nouveau nom n’est pas encore devenu officiel.

Attention : ces extensions ne signifient pas que dans un cas déterminé où un critère de discrimination entre en jeu, il sera automatiquement conclu qu’une discrimination a eu lieu. Cela dépendra d’une analyse concrète des faits, de l’appréciation éventuelle du juge et des motifs de justification avancés par l’employeur.

3. Mesures de protection renforcées

3.1 Mesure positive lorsqu’il est mis fin à la discrimination

Les mesures visant à faire cesser des comportements discriminatoires ne suffisent pas toujours afin d’apporter une réparation adéquate aux victimes. Auparavant, il n’existait que ce type de mesures négatives afin de faire cesser la discrimination.

La nouvelle mesure a donc instauré des actions positives : le juge peut non seulement faire cesser les comportements discriminatoires, mais également imposer certaines actions à entreprendre aux auteurs de discriminations afin d’empêcher une éventuelle récidive.

Exemple : mener une campagne ou une politique d’anti-discrimination au sein de l’entreprise.

3.2 Indemnisation

a) Augmentation des indemnisations forfaitaires

Le législateur a voulu sévir au niveau des sanctions. Les nouveaux montants prévus pour indemniser les victimes de discrimination sont les suivants:

Indemnisation forfaitaire

 

 

Ancienne réglementation

 

 

Nouvelle réglementation

Montant de base

650 EUR

1.950 EUR

Montant majoré (maximum)

1.300 EUR

3.900 EUR

 

Qui plus est, ces montants seront indexés chaque année à partir de 2024.

Attention: Ces montants et augmentations ne sont pas applicables aux actes discriminatoires sur le lieu de travail qui suivent un régime distinct : lorsque la victime subit des violences morales ou harcèlement sexuel, la loi relative aux risques psychosociaux au travail s’appliquera.

Exemple : Un chef de chantier fait des remarques racistes incessantes à un travailleur d’une origine durant toute la journée.

b) Cumul des indemnités

Les indemnités forfaitaires octroyées à la suite de discriminations multiples sont susceptibles d’être cumulées. Ce cumul éventuel doit faire l’objet d’une appréciation souveraine d’un juge au cas par cas et en tenant compte du préjudice réellement subi par la victime.

4. Entrée en vigueur

Ces nouveautés sont entrées en vigueur le 30 juillet 2023.

 

Source : Loi du 28 juin 2023 portant modification de la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie, de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination et de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes, M.B. 20 juillet 2023.